Au début de la crise sanitaire provoquée par la pandémie de coronavirus (COVID-19), le grand boulevard de Deckon à Lomé a perdu de sa superbe. Ce quartier d’affaires de la capitale a chèrement payé le couvre-feu instauré quelque temps par le gouvernement pour lutter contre la propagation du virus. Dès 19 heures, bars, maquis, magasins et supermarchés baissaient leur rideau, donnant des allures d’artère fantôme à ce coin traditionnellement connu pour ses soirées animées. « D’habitude, nous faisions l’essentiel de notre chiffre d’affaires le soir et la nuit », confie Marc, gérant d’un maquis sur le boulevard. « Le couvre-feu a donc crée donc un manque à gagner énorme».
par Lamine Backé

Des tendances à la baisse
Les commerçants ne sont pas les seuls affectés par cette situation. Toute l’éco- nomie togolaise est paralysée, comme l’atteste le premier rapport de la Banque mondiale sur la situation éco- nomique du Togo publié aujourd’hui. Intitulé « Dynamiser l’investisse- ment privé pour plus de croissance et d’emplois », le rapport revoit à la baisse les projections de croissance du Togo en 2020, du fait de l’impact de la COVID-19.
« On constate une baisse de la pro- duction et des ventes dans de nom- breux secteurs, en particulier ceux dans lesquels le travail à distance n’est pas possible, comme la fabrication, le commerce de détail, la construc- tion et le tourisme », souligne Urbain Thierry Yogo, économiste principal de la Banque mondiale pour le Togo et coauteur du rapport. Environ 62 % des emplois sont touchés, 49 % dans le secteur des services et 13 % dans le secteur industriel. Le nombre d’em- ployés dans les espaces de vente au détail et de loisirs a diminué de 30 % et la présence au travail a diminué de 12 % par rapport aux niveaux antérieurs à la pandémie de Covid-19.»
Les petites et moyennes entreprises ont été particulièrement touchées. Selon le rapport, elles sont 41 % dans le sec- teur agricole et agro-industriel à avoir enregistré une baisse de leurs ventes de l’ordre de 75 à 100 %. De même que 33 % des entreprises du secteur du tou- risme, 36 % de la branche fabrication et 35 % des entreprises de transport et logistique. « L’analyse de l’impact de la pandémie de COVID-19 sur l’éco- nomie togolaise repose sur deux scéna- rios », souligne Urbain Thierry Yogo. « Un scénario optimiste de courte durée de la crise sanitaire et un scé- nario alternatif, plus probable, dans lequel la crise s’étendrait au-delà de neuf mois. La croissance en 2020 pourrait alors chuter à 1 % dans le meilleur des cas et le déficit bud- gétaire se situerait à 5,7 % du PIB. » Le rapport préconise au gouvernement d’apporter un soutien budgétaire de grande ampleur aux ménages les plus vulnérables et aux entreprises afin de stimuler la relance économique.
Booster l’investissement privé et accélérer les réformes
Le développement du secteur privé est entravé principalement par une fis- calité élevée et des difficultés d’accès au financement. De nombreuses entre- prises togolaises considèrent le poids de la fiscalité comme un frein au dé- veloppement du secteur privé. Cette perception reflète une forte concentra- tion des recettes sur un faible nombre d’instruments fiscaux et sur un nombre limité de contribuables. Malgré la montée en flèche au cours des années récentes du recours à l’emprunt ban- caire pour financer les investissements, 51,3 % des entreprises finançaient tou- jours leurs investissements sur fonds propres en 2018.
Le rapport recommande d’accélérer les mesures destinées à accroître l’in- vestissement privé et à lever les obs- tacles au développement du secteur privé. D’autant que le plan national de développement mise sur une augmen- tation annuelle de l’investissement privé de l’ordre de 17 % entre 2018 et 2022 alors qu’il n’a augmenté que de 11 % par an entre 2010 et 2018. Il est également essentiel de poursuivre les efforts d’amélioration de la qualité des infrastructures et des services dans les secteurs de l’énergie et des télécom- munications.
Le potentiel de l’économie numérique sous-exploité
Le rapport consacre un chapitre spé- cial à l’enjeu de l’économie numé- rique au Togo. Le pays possède une population urbaine jeune (60 % de la population a moins de 25 ans) qui a de plus en plus recours aux nouvelles technologies, avec un taux d’adop- tion mobile de 36,8 % et un écosys- tème d’innovation naissant. Mais le potentiel économique du numérique est sous-exploité alors qu’il pourrait
contribuer à dynamiser le secteur privé et booster la croissance écono- mique du Togo.
Pour tirer pleinement parti du po- tentiel de l’économie numérique, le rapport propose un ensemble de me- sures :
• Renforcer la formation à l’entre- prenariat et l’accompagnement des startups ;
• Créer des marchés pour les entrepreneurs du numérique ;
• Faciliter l’expansion des entre- prises du numérique en Afrique de l’Ouest ;
• Combler l’écart de financement de prédémarrage pour les star- tups numériques ;
- Poursuivre les réformes poli- tiques et réglementaires ;
- Développer les infrastructures et les plateformes numériques indispensables à la réduction
du coût d’accès dans le secteur. « Le gouvernement et le secteur privé peuvent servir de catalyseurs à la croissance des entreprises numériques
et faciliter le développement d’une économie togolaise plus compétitive et plus prospère », conclut Hawa Cissé Wagué, représentante résidente de la Banque mondiale pour le Togo.